Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Il y a trois siècles
Archives
Publicité
Derniers commentaires
Il y a trois siècles
  • Le journal d'Olivier Le Vôtre, commis à la Maison du Roi Louis XIV, il y a trois siècles exactement. Le héros, enfant abandonné, est à la recherche de ses origines dans une Cour de Versailles pleine de mystères...
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
11 mai 2010

Le mousquetaire ricanant

Le 11 mai de l'an de grâce 1710

Le soir, seul dans la pièce qui m'est réservée au Grand Commun du château, ce moment de solitude que je me suis longtemps efforcé de retarder en travaillant le plus tard possible. Je suis la bête administrative dans son écurie, le cheval de labour de l'État qui vient manger son foin et reprendre des forces pour pouvoir tirer la machine immense de la Maison du Roy le lendemain.

grand_commun

Pas de visite, point de distraction autre qu'une Bible, juste ce journal.

Ambiance crépusculaire du serviteur d'un vieux Roy qui craint les poisons et les trahisons, hanté par la mort et les remords. Serviteur aussi d'un monarque pieux, terrorisé par un Dieu imaginé, au mieux, comme un juge impitoyable, au pire comme un être terriblement vengeur foudroyant le pêcheur qui ne se repend pas.

J'attrape la poignée usée de la fenêtre à pleine main et ouvre brusquement pour faire entrer le vent frais qui ne cesse de souffler sur Versailles. Ce vent mauvais des marais que les centaines d'arbres doivent assainir m'emplit la poitrine : je ne m'arrête pas à l'odeur putride et me concentre sur le froid qu'il m'apporte. J'ai résisté à l'air ambiant, la maladie ne m'a jamais touché, une robustesse insolente dans cette Cour où les plus fragiles tombent comme des mouches, crachant leur pauvre vie par la bouche ou la laissant couler sous eux comme dans un choléra.

C'est le moment où mes muscles se durcissent par des exercices mille fois répétés : soulever, avec les bras, le lit en chêne en étant allongé dessous, effectuer les tractions du singe cent fois sur la même poutre, me laisser tomber et rebondir, les jambes comme des ressorts, les poings prêts à frapper : je veux être indestructible, avoir un corps dominé par l'esprit, une puissance prête pour tous les combats.

Puis le silence à nouveau.

La nuit plus profonde envahit la ville et éteint les lanternes une à une. Le carrosse d''un duc s'éloigne, ses chevaux battus à la badine mais sans cri de cocher.

Seul. Cet homme sans passé que je ne cesse d'être.

Soudain, une drôle d'agitation au-delà de ma porte, chuchotements, frottements, coups sur le parquet.

Je cours ouvrir.

Un géant impassible en uniforme écarlate et soubreveste bleue de mousquetaire m'attend.

monsquetaire

Son visage m'est caché par son chapeau qu'il a gardé et la très faible luminosité du lieu. Il tient dans sa main, au bout de son bras droit tendu, comme un trophée. Je découvre - avec une horreur qui m'immobilise – qu'il s'agit d'une tête tranchée, encore toute sanguinolente !

Le garde royal prononce alors ces mots, d'un ton neutre, presque détaché, comme appris par cœur : "Monsieur, cet homme voulait vous parler de feu votre père".

Puis, il part d'un rire énorme, raisonnant dans tout le bâtiment et enchaîne sur un gloussement grave et sardonique. Il jette dans ma direction la pauvre tête qui roule jusqu'à mes pieds et disparaît.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité