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Il y a trois siècles
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Il y a trois siècles
  • Le journal d'Olivier Le Vôtre, commis à la Maison du Roi Louis XIV, il y a trois siècles exactement. Le héros, enfant abandonné, est à la recherche de ses origines dans une Cour de Versailles pleine de mystères...
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5 mai 2010

Travailler à la Maison du Roy

Versailles, le 6 mai de l'an de grâce 1710

Le grand tranchant, les cent-Suisses, les Mousquetaires, les menus-plaisirs, mais aussi l'examen des titres de noblesse, l'attribution des appartements à Versailles, la police dans Paris, la bouche et la garde robe de Louis le quatorzième... je me perds dans toutes les missions de la Maison du Roy, immense service d'intendance dirigé par un secrétaire d'Etat, Jérôme de Phélypeaux, mon seigneur et maître, le comte de Pontchartrain. J'ai servi le père, très aimé de tous, je me dévoue au fils, unanimement détesté. Le premier me parlait avec bonté, le second me rudoie avec sa voix glapissante et me toise de son seul oeil sain.

ponchartrain_j_r_me_de_ph_lypeaux

Jérôme de Phélypeaux, comte de Pontchartrain, mon seigneur et maître

Pour autant, je continue à apprécier l'extraordinaire variété des missions confiées. Les Pontchartrain cumulent le portefeuille de la Maison du Roy avec celui de la Marine. Le pouvoir est là, dans les navires et dans les épices, dans les terres lointaines conquises et dans les quartiers de noblesse préservés, dans les intrigues dont nous savons tout et dans les secrets dont personne ne sait rien.

Beaucoup de papiers maniés, d'informations échangées, de domestiques à surveiller : il faut nourrir la Cour, complaire au souverain, préparer les batailles navales de demain et le feu d'artifice de ce soir. Le détail de la vie du Roy se règle chez nous, nous la mettons en musique avec nos panetiers et portemanteaux, nos fourriers et nos fruitiers. Louis ne doit manquer de rien : il mange, boit, respire, se couvre avec ce que nous lui donnons. Nous sommes ses esclaves mais il se présente nu devant nous. Extraordinaire charge d'habiller le Soleil de France et d'être ceux qui permettent à ses rayons de s'étendre sur l'Europe, respectueusement courbée devant son prestige sans égal.

Qui suis-je dans cette Maison du Roy ? Un commis. Un secrétaire particulier du secrétaire d'Etat, celui qui ouvre et ferme son portefeuille, emplit sa bouteille d'encre et recopie ses lettres... en mémorisant tout. Le passé de tel duc, l'avenir de tel comte, la venue de tel ou tel ambassadeur, les crédits pour la Flotte, la pension de tel Grand, la récompense ou la disgrâce de tel autre : rien ne m'échappe. Je ne signe rien mais prépare tout. J'écoute à l'infini mon maître sans rien dire, attendant l'ordre définitif et l'exécutant sans qu'il soit besoin d'achever les phrases. Je dure et j'endure sans bruit et dort souvent à même le sol pour être le premier là le matin.

Ma vraie motivation dans cette vie de moine ; quelque part dans cette immense Maison du Roy, se cache mon passé. Mon père et ma mère sont glissés dans ces liasses immenses, dans ces bruits rapportés et ces décisions déjà prises il y a quarante ans. Je me tais et je cherche. Les indices, les morceaux qu'il faut recoller, j'interroge sans insister mais reviens plus tard à la charge avec obstination.

Un jour, je saurai d'où je viens et qui je suis.   

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Commentaires
G
Mon Ami,<br /> Je vous laisse ce bleu car je dois partir sur l'heure par ordre de sa Majesté. Marlborough et Eugène ont décidé dans la nuit du 4 au 5 mai d'assiéger Douai. Leur armée se trouve entre la Scarpe et le canal du Moulinet. Je me rends à Guesnain d'où je compte faire plier d'Albertgotty.<br /> Pour le Roi et le Royaume de France.<br /> Votre bien dévoué.<br /> Général de Vieillebaderne
O
Comme c'est un peu calme, et que l'on ne peut décemment laisser notre ami Le Vôtre parler des grands du royaume, sans accompagner de temps à autres ses annotations du fiel légendaire de Saint Simon, ouvrons donc le bal simonien avec un extrait de son portrait, méchant à souhait il va s'en dire, du fils Pontchartrain, dont la chute final d'ailleurs nous relie au billet précédent.<br /> <br /> "Jaloux jusques de son père qui s'en plaignoit amèrement à ses plus intimes amis; tyran cruel jusques de sa femme qui avoit beaucoup d'esprit, étoit l'agrément, la douceur, la complaisance, la vertu même et l'idole de la cour; barbare jusqu'avec sa mère: un monstre, en un mot, qui ne tenoit au Roi que par l'horreur de ses délations, de son détail de Paris et une malignité telle qu'elle avoit presque rendu d'Argenson bon."<br /> <br /> Tome 4, chap.XIX (avec l'ortographe de l'époque c'est encore mieux!)<br /> <br /> Bye<br /> <br /> Olivier Stable
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